Chères Loirétaines, chers Loirétains,
Le 27 mai 2025, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi sur l’aide à mourir, marquant une étape historique dans le débat éthique et sociétal en France.
Dans ce contexte, je souhaite vous rendre compte des raisons de mon vote pour l’aide à mourir.
Il y a des débats et des textes qui peuvent donner le vertige. J’ai bien-sûr entendu des positions très très pour et d’autres très très contre. C’est peut-être celles que j’ai le plus entendues.
Personnellement, j’ai fait partie de ceux qui doutent. C’est une position pas évidente dans un débat si polarisé. Mais je considère que le doute est fertile. Depuis trois ans, j’ai donc cultivé ce doute, ouvert et réouvert les différents tiroirs éthiques, philosophiques et pratiques face à l’éventualité de l’ouverture de l’aide à mourir. Au-delà de mon expérience personnelle et de mon expérience de médecin, j’ai souhaité tout lire, écouter tout le monde. J’ai aussi souhaité vous consulter. Rarement une loi n’aura autant mobilisé la société, dans toutes ses composantes. Et c’est heureux.
Un certain nombre de doutes que j’ai pu avoir se sont éclaircis ces derniers jours. Je souhaite donc vous faire part ici des raisons de mon vote.
Depuis 20 ans, les lois qui traitent de la fin de vie (loi de 1999 sur les soins palliatifs, loi « Kouchner » sur les droits des malades, lois Leonetti puis Claeys-Leonetti), sont guidées par deux principes : écouter et respecter la volonté du patient et préserver sa dignité. Ces progrès ont permis de créer la garantie du droit à l’accès aux soins palliatifs, la fin de l’obstination déraisonnable pour limiter les soins inutiles et disproportionnées, l’opposabilité des directives anticipées du patient ou la création de la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Demain comme aujourd’hui, pour l’immense majorité des patients, ni la sédation profonde et continue ni l’aide à mourir ne seront des questions qui se poseront, car les soins palliatifs suffiront à apaiser leur souffrance. Mais nous sommes obligés de constater que des situations rares mais bien réelles conduisent certains de nos concitoyens à subir des souffrances longues et insoutenables en fin de vie. Notre droit actuel n’arrive pas à répondre à toutes les situations et c’est pourquoi je suis favorable à l’ouverture d’un recours. Il est aussi pour moi fondamental que le texte que nous avons adopté soit centré sur la seule volonté du patient, de l’initiative de la demande à l’injection de la substance létale. Jamais l’aide à mourir ne pourra être proposée, suggérée ou encouragée. Le patient restera seul demandeur et sa volonté doit être réitérée de nombreuses fois au cours de la procédure.
Malgré cela, beaucoup s’interrogent sur les critères retenus. Contrairement à d’autres propositions qui ont pu être émises dans le débat public, l’aide à mourir telle que définie dans le texte est un droit limité et très encadré. Les critères d’éligibilité finalement retenus ont été décisifs dans mon vote. II m’apparaît ici important de les rappeler.
A deux critères administratifs (être majeur, de nationalité française ou résidant de manière stable et régulière en France) s’ajoutent trois critères médicaux qui doivent être réunis de manière cumulative.
Premier critère, la personne demandeuse devra être atteinte d’une affection grave et incurable engageant son pronostic vital en phase avancée ou terminale. J’étais opposée à la notion de « phase avancée » car, selon les interprétations, elle pouvait par exemple ouvrir l’aide à mourir à des personnes ayant un cancer métastasique mais avec des chances, mêmes réduites, de survie. J’ai donc accueilli favorablement la précision selon laquelle la phase avancée doit être interprétée comme un « processus irréversible ». C’est la différence fondamentale entre « hâter la mort », qui surviendra dans quelques jours voire quelques semaines pour une personne sans aucune perspective de rémission, et « provoquer la mort », ce qui aurait été pour moi inacceptable.
Deuxième critère, la personne devra avoir une souffrance constante liée à son affection. Nous avons adopté le fait qu’une seule souffrance psychologique ne pourra donner accès à l’aide à mourir.
Enfin, la personne devra être apte à manifester sa volonté de manière libre et éclairée. C’est là aussi un choix décisif. Cela exclura de fait un certain nombre de pathologies, que ce soit les maladies neuro-évolutives comme la maladie d’Alzheimer ou certaines pathologies psychiatriques. Plus généralement, et face à certaines inquiétudes exprimées, il m’apparaît important de rappeler que le texte ne concerne pas les personnes en raison de leur âge ou de leur handicap, mais en fonction de leur pathologie.
J’ai également été sensible à l’autonomie des patients et à la place des soignants.
La liberté et la volonté du patient sont au cœur de ce texte. Aussi, pour l’administration de la substance létale, nous avons retenu le fait que l’auto-administration sera la règle. Seule l’ « incapacité physique » du patient – qui apparaît rare quand on regarde les pratiques à l’étranger – impliquera la participation active d’un soignant dans l’administration de la substance létale.
S’agissant du traitement de la demande, la procédure collégiale était pour moi un choix cardinal. Il y a un an, le texte prévoyait que le médecin consulte successivement et a minima deux professionnels. Nous avons largement renforcé le dispositif en prévoyant non pas une consultation mais une concertation des professionnels. Ce croisement des points de vue, c’est une garantie éthique fondamentale, à la fois pour les professionnels et les patients.
Enfin, et il faut rappeler cette évidence aucun soignant ne sera obligé de participer à une procédure d’aide à mourir – chacun sera libre d’activer sa clause de conscience.
Une autre question régulièrement soulevée est la possibilité d’une ouverture, dans les prochaines années, de critères d’éligibilité extensifs. Je me félicite d’abord que la tradition, en France, n’a jamais impliqué de légiférer de manière expéditive sur ces questions. Ces trois dernières années démontrent la nécessité d’une discussion profonde au sein de la société avant tout changement législatif. Par ailleurs, des pays qui ont ouvert une forme d’aide à mourir, parfois de longue date, n’ont pas pour autant modifié les critères d’éligibilité. Ainsi en va-t-il par exemple de la Suisse, des Etats-Unis, de l’Espagne, de l’Autriche, du Luxembourg, de l’Australie ou de la Nouvelle-Zélande. Il n’y a donc aucune fatalité à une « dérive » de notre législation, comme certains le craignent.
Bien-sûr, je n’épuise pas ici toutes les questions qui se posent ou qui se sont posées.
Mais je tenais à vous partager les critères et les choix qui ont été retenus ces derniers jours et ces dernières semaines, qui orientent aujourd’hui mon vote favorable à ce texte de loi. Des choix moins précis, moins cadrés, plus extensifs auraient orienté mon vote autrement.
Le texte doit désormais être examiné au Sénat et je serai vigilante aux prochaines évolutions. En tout état de cause, je forme le souhait que nous puissions continuer à affirmer nos idées sans les imposer, émettre nos doutes sans se brocarder et laisser pleine place à l’écoute de l’autre.
Sincèrement,
Stéphanie RIST
